D’ici au 1er janvier 2026, l’État et Chambres d’agriculture France, présidé par Sébastien Windsor, devront s’accorder sur le cadre de leur partenariat pour les six prochaines années. À ce chantier s’ajoute celui de l’élaboration du nouveau projet stratégique des chambres, qui doit également être terminé d’ici trois mois.
Deux occasions d’engager des réformes, aux yeux de la Cour des comptes, pour que les chambres exercent « mieux et collectivement leurs missions en concordance avec les attentes des politiques publiques ».
Pour construire son rapport, qui vient d’être publié, la Cour s’est pour l’essentiel fondée sur les contrôles des chambres effectués entre 2017 et 2023. Tout en reconnaissant les efforts de rationalisation menés par le réseau depuis quelques années, les magistrats appellent à de profondes réformes au sein de ces établissements publics.
1. Insuffisamment respectés, les pouvoirs de la tête de réseau doivent être renforcés
Chambres d’agriculture France (CDA France, ex-APCA) ne parvient pas à « faire respecter ses décisions en matière de normes communes, de gestion des ressources humaines et de systèmes d’information, d’audit ou d’incitations financières à l’intégration », souligne le rapport. En matière de contrôle interne, par exemple, la chambre du Lot-et-Garonne, dirigée par la Coordination rurale, a refusé d’être auditée, tandis que celle des Alpes-Maritimes, présidée par la FNSEA, a « refusé la contradiction ». Deux oppositions qui sont d’ailleurs restées sans réponse des préfets, s’étonne la cour.
Autre exemple, en 2023, La Réunion (FNSEA-JA) et la Guadeloupe (Modef-JA) n’ont transmis que des données partielles à CDA France dans le cadre de l’enquête sur les « données financières et sociales ». La Martinique (FNSEA-JA) et le Lot-et-Garonne n’en ont même transmis aucune, sans conséquence à ce jour.
Les magistrats demandent donc à la tête de réseau à « mettre pleinement en œuvre » le nouveau pouvoir normatif et de sanction prévu par la loi d’orientation agricole de mars 2025. Une réforme bienvenue, mais qui reste inapplicable, faute de décret d’application, déplore CDA France dans sa réponse à la juridiction.
2. Trop peu interventionniste, l’État doit accroître ses contrôles sur le réseau
Pour améliorer l’efficacité des chambres, l’État doit pleinement se saisir de son rôle de tutelle au niveau national et local, insiste le rapport. Dit autrement, il doit veiller au respect par les établissements publics de leurs obligations juridiques et financières, mais aussi à l’atteinte des objectifs de politique publique. Ce renforcement est « indissociable de la nécessaire affirmation de l’autorité » de CDA France au sein du réseau, selon les magistrats financiers. Une préconisation qui avait déjà été faite en 2020 par les députés Stéphane Travert et Marie-Christine Verdier-Jouclas, dans un rapport sur le financement des chambres.
Ainsi, le réseau devra se doter d’ici un an de normes sur les droits et les obligations des élus et sur le régime de sanction « en cas d’atteinte à la probité ». Ce cadre, qui pourra être fixé par décret, devra être repris dans le règlement intérieur de chaque chambre, insiste la cour.
En effet, celle-ci a identifié des « irrégularités récurrentes » dans le réseau, qu’elle appelle à « combattre plus fermement ». Par exemple, l’absentéisme dans les sessions et les réunions des bureaux des chambres entraîne parfois des décisions illégales… faute de quorum.
Dans certaines régions, des subventions sont encore versées de manière irrégulière à des syndicats, « le plus souvent, sans observation des préfectures », regrette le rapport, qui demande à l’État d’agir pour faire disparaître ces pratiques. Comme les instructions budgétaires de la Direction générale de la performance économique et environnementale (DGPE) des entreprises le rappellent « inlassablement » depuis 2016, les chambres d’agriculture « ne doivent pas allouer des subventions de nature à constituer un avantage abusif accordé à un organisme tiers ».
Le rapport cite les cas de la FNSEA de Vendée, qui bénéficiait en 2017 d’une subvention annuelle de 66 300 euros, et de la section Jeunes Agriculteurs d’Île-de-France, qui avait perçu une aide de 41 000 euros en 2020 pour l’organisation de fêtes des récoltes et des moissons. Autre cas problématique, l’existence d’un site internet sur le mal-être agricole lancé par CDA France en partenariat avec la FNSEA. Tenant compte des critiques de la cour, la tête de réseau assure qu’il sera bientôt fermé et remplacé par un site géré uniquement par les chambres.
3. Les missions des chambres doivent être recentrées sur l’accompagnement des agriculteurs dans les transitions
Face aux transitions économiques et environnementales, la Cour des comptes juge prioritaire la massification d’un conseil global et stratégique en direction des agriculteurs. Une recommandation qui s’adresse à la fois au réseau et au ministère de l’agriculture. Ce dispositif doit s’inscrire dans le cadre d’une offre nationale de services « rationalisée » et doit porter sur plusieurs enjeux de transformation de moyen et long terme du système des exploitations agricoles (économique, environnemental, social).
En outre, les chambres doivent « revivifier la dimension collective de leur conseil », car les collectifs sont « déterminants pour faire évoluer les pratiques agricoles en phase de transitions », affirme le rapport.
Tout en reconnaissant le contexte très concurrentiel où évoluent les chambres en matière de conseil, les auteurs soulignent les nombreux atouts de ces dernières. Par exemple, la compétence généraliste des conseillers, en particulier leur capacité à faire émerger et à prendre en compte les besoins des agriculteurs.
Une préconisation bien accueillie par Chambres d’agriculture France, qui assure l’avoir inscrite dans son futur projet stratégique. Néanmoins, Sébastien Windsor se dit opposé à l’instauration d’un conseil stratégique sous une forme unique, estimant que le dispositif doit rester « modulaire » pour s’adapter aux besoins des agriculteurs.
En matière de transition environnementale, le réseau doit « sortir de sa timidité », martèle la cour, qui s’appuie sur le précédent contrat d’objectif et de performance, qui qualifiait de prioritaire cet accompagnement. Jusqu’à présent, « l’impulsion donnée par CDA France en faveur de l’agroécologie [et de l’agriculture biologique] a connu des fortunes variables dans le réseau régional et départemental. L’engagement des élus demeure un facteur déterminant de l’implication de techniciens dans la durée », relève le rapport.
Sur le délicat sujet des pesticides et des engrais, « les chambres ont là aussi été le plus souvent réservées », malgré les enjeux de santé publique. Face à ce constat, la Cour des comptes n’hésite pas à enjoindre aux chambres de « lever le silence » qui entoure l’impact des pesticides « sur la santé des agriculteurs et de leurs familles ». Elle reconnaît toutefois que les chambres ont reçu des « signaux de politique publique erratiques » ces dernières années.
4. Entravée par le niveau départemental, la régionalisation doit être menée à bien
Le décret de 2016 sur la mise en place, pourtant obligatoire, des chambres d’agriculture régionales n’a provoqué qu’une mutualisation limitée et hétérogène, pointe la cour. Résultat, le nombre des chambres s’est peu réduit et les moyens se sont superposés.
Le rapport prône la régionalisation effective des services supports, comme le souhaite également CDA France. De manière plus ambitieuse, il propose de revoir à partir de 2031 les modalités d’élection des membres des chambres territoriales et régionales en organisant un scrutin régional, et non plus départemental (relire notre article). En parallèle, une réforme de la répartition de la taxe de frais de chambre (TFCA) « devrait être engagée pour qu’elle s’effectue au niveau national, comme dans les deux autres réseaux consulaires », CCI et CMA.
Le ministère de l’agriculture n’est pas opposé à cette réforme, d’après la réponse – très succincte – envoyée à la cour par le DGPE par intérim fin septembre, quelques jours à peine avant la publication du rapport. La perception nationale de la taxe de frais de chambre risque de se heurter à l’existence de fortes différences départementales, prévient néanmoins CDA France, réclamant un audit des bases cadastrales.
Les chambres en quelques chiffres
En 2025, le réseau est constitué de 100 établissements, dont 86 de niveau départemental (62 « chambres départementales », 5 « interdépartementales », 5 outre-mer, 14 « territoriales »), 13 de niveau régional avec des « chambres régionales » ou des « chambres d’agriculture de région » et d’un établissement national « Chambres d’agriculture France ». Ces établissements publics emploient 8 200 salariés et sont dotés d’un budget annuel de près de 800 millions.
Les dernières élections professionnelles, organisées en janvier 2025, ont vu une percée de la Coordination rurale, qui préside désormais onze chambres, aux dépens de la FNSEA (relire notre article).